Soldats noirs au Canada - Le cas du 104e régiment d’infanterie
La participation des soldats du 104e régiment est un des exemples méconnus de l’enrôlement des Noirs canadiens dans l’armée sous le régime britannique. Survol de cet épisode de l’histoire du Canada à l’époque de la guerre de 1812.
Le 104e régiment d’infanterie est un régiment de l’infanterie britannique qui a été actif de 1810 à 1817. Avant 1810, il était ce qu’on appelait un régiment de fencibles. En 1803, en plein cœur des guerres napoléoniennes qui opposent le royaume britannique et la France de Napoléon, les gouvernements coloniaux d’Amérique du Nord obtiennent le droit de lever des régiments pour la défense de leur territoire. En théorie, ce sont des unités temporaires composées d’habitants qui étaient commandées par des officiers des troupes de terre. Généralement, ces régiments étaient chargés de patrouille ou de la défense de places fortifiées ce qui inspire leur nom, dérivé du mot defensible, qui signifie être en mesure de se défendre face à une attaque. Puisque leur statut est à l’extérieur du commandement de l’armée, ils ne sont pas appelés à mener des actions offensives ou des attaques sur des ennemis. On organise donc les Nova Scotia Fencibles, les Royal Newfoundland Fencibles, le Canadian Regiment of Fencible Infantry et le New Brunswick Regiment of Fencible Infantry.
Bien que ces régiments recrutent surtout des volontaires parmi les habitants de leurs colonies respectives, il n’est pas rare que leurs efforts de recrutement dépassent les frontières de celle-ci. Dans le cas du New Brunswick Regiment of Fencible Infantry, le brigadier-général Martin Hunter, qui se voit autorisé à lever le régiment, recrute des hommes dans les colonies du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, mais aussi au Bas-Canada (Québec actuel). Et parmi les recrues du régiment, on compte un certain nombre de Canadiens Noirs. Certains étaient des soldats d’infanterie, mais d’autres avaient des rôles différents. On trouvait des joueurs de tambours, mais ils occupaient aussi la fonction de pionniers. En fait, il semble que tous les pionniers du régiment aient été noirs.
Les pionniers
À la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle, les pionniers jouent un rôle particulier au sein des régiments de l’armée britannique. Dans chaque régiment, on pouvait trouver une unité de pionniers qui avaient comme tâches principales de soutenir les déplacements des régiments. Ce sont notamment les pionniers qui ouvraient les chemins en forêt, qui préparaient les assauts sur les places fortifiées et qui s’occupaient généralement des travaux liés au génie militaire. Ils pouvaient aussi être responsables de construire certaines parties des campements. Aussi crucial puisse être leur rôle, ils étaient néanmoins considérés comme des individus tenant un rôle de soutien aux soldats des régiments.
L’exemple de George Lawrence
Né en esclavage en 1790, George Lawrence aurait été vendu à un loyaliste installé près de Kingsclear dans la colonie du Nouveau-Brunswick avant d’obtenir sa liberté. La légende veut qu’il aurait sauvé la fille de son maître. Désormais libre, il se rend à Fredericton (Nouveau-Brunswick) et devient domestique pour un médecin en ville. C’est au déclenchement de la guerre de 1812 qu’il s’enrôle dans le 104e régiment. Il est fait tambour, un rôle important de communication au sein des forces armées. Non seulement accompagne-t-il la marche et les différentes actions des troupes, mais les tambours servent aussi à relayer, grâce à leurs rythmes, les différents ordres des officiers sur le champ de bataille. Ils sont aussi mobilisés pour d’autres tâches de soutien et sont même désignés pour exécuter la peine du fouet aux soldats condamnés pour différents crimes dans leurs régiments.

Lawrence participe aux actions de son régiment dans le Haut-Canada en 1813 et en 1814. À la fin de la guerre, il retourne vivre à Fredericton. Il y fonde une famille avec Phoebe Stewart et ils auront six enfants. Pour le reste de sa vie, il est ouvrier et continue de servir la milice en tant que sergent.
Lawrence n’est pas le seul exemple de soldat noir au 104e régiment. On peut aussi penser au soldat John Baker, né en esclavage au Bas-Canada, qui a rejoint le 104e régiment avant de continuer sa carrière militaire dans l’armée britannique et de participer à la bataille de Waterloo en 1815. Il y a aussi le tambour Henry Grant, fils de loyalistes noirs originaires des États-Unis qui se sont réfugiés au Nouveau-Brunswick après la guerre d’Indépendance et qui a rejoint le 104e régiment au début de la guerre de 1812. À ce jour, on ne connaît pas le nom de tous les soldats noirs qui ont rejoint le régiment ou même leur nombre exact.
Le 104e régiment pendant la guerre de 1812
Au début du 19e siècle, la situation en Amérique du Nord est délicate entre les colonies britanniques et les États-Unis d’Amérique. Il reste plusieurs points de tension depuis la fin de la guerre d’Indépendance et une nouvelle guerre risque d’éclater.
Dans ce contexte, le New Brunswick Regiment of Fencible Infantry se porte volontaire pour rejoindre les rangs de l’armée et devenir un régiment d’infanterie régulier. En 1808, leur offre est rejetée, mais elle est acceptée en 1810. C’est à ce moment que le régiment est officiellement renommé le 104e régiment d’infanterie (104th Regiment of Foot). Avec ce statut, le régiment est désormais intégré dans la structure de l’armée britannique. Avec la déclaration de guerre des États-Unis en juin 1812, le régiment sera déployé pour une première fois hors du Nouveau-Brunswick.
En 1813, le 104e est appelé à servir au Haut-Canada. Il est rassemblé à Fredericton où il entreprend alors une longue marche hivernale vers Kingston (Ontario). Partis le 16 février 1813, les 500 soldats et 20 officiers rejoignent Québec le 15 mars.
Après quelques jours de repos, il continue sa marche vers Kingston où il est arrivé le 12 avril 1813. Cette marche épique s’étire finalement sur plus de 1 100 kilomètres dans la neige et le froid hivernal.

Toutefois, pas de repos pour les hommes du 104e régiment. Le régiment participe à la bataille de Sacket’s Harbor, à la fin mai 1813, et certaines compagnies prennent aussi part à la bataille de Beaver Dams le 24 juin 1813. Après avoir passé l’hiver à Kingston, le régiment s’engage aussi à la bataille de Lundy’s Lane, au siège du Fort Erie et à la bataille de Cook’s Mills en 1814. Leur statut très actif est reconnu quand le régiment reçoit les honneurs de bataille suivants : « Niagara, 1814 » et « Défense du Canada, 1812-1815 ». On sait aussi que certains hommes du régiment sont demeurés à Québec à l’hiver 1814-1815. En 1815, à la fin de la guerre, le régiment est à Montréal après avoir passé de nombreux mois entre le Haut-Canada et le Bas-Canada. En 1817, il est finalement dissout à Montréal.

L’exemple de George Lawrence et du 104e régiment peut paraître anecdotique. Il existe toutefois des dizaines de récits comme celui-ci qui permettent de commencer à comprendre la présence des Noirs Canadiens dans les forces armées britanniques ou canadiennes et par extension la contribution majeure de ceux-ci à l’histoire du pays. La discrimination et le racisme ont fait en sorte que ces témoignages peuvent paraître plus rares ou difficiles à trouver. Le parcours de ces individus est le début d’un long combat vers des changements sociaux significatifs.